Lib.ru/Ñîâðåìåííàÿ:
[Ðåãèñòðàöèÿ]
[Íàéòè]
[Ðåéòèíãè]
[Îáñóæäåíèÿ]
[Íîâèíêè]
[Ïîìîùü]
TRADUIT du RUSSE par JEAN Le GUENNEC
Tel-Aviv est vraiment la ville de l"éternel printemps, et même plutôt de l"éternel été.
Et du soleil, bien sûr ! Une rangée ininterrompue de cafés sur les quais, on dirait un long
restaurant qui va de la vieille Jaffa jusqu"au port, quelque cinq ou six kilomètres le long de
la mer.
Shlomit attendait son amie. Celle-ci était en retard, et toutes les cinq minutes,
Shlomit l"appelait avec toujours la même question :
" Alors, où tu es ? "
Et Orna répondait invariablement :
" Dans un bouchon, Shlomitush, dans un bouchon. "
Eh oui, les bouchons à Tel-Aviv sont particuliers ; c"est que les rues sont étroites
comme au moyen-âge. Alors avec des voitures garées des deux côtés...
Shlomit alluma une longue cigarette de dame. Elle ne savait pas elle-même pourquoi
elle fumait. La seule chose qui la distinguait du reste des fumeurs, c"est qu"elle n"avait
jamais essayé d"arrêter. Les hommes qu"elle avait rencontrés voyaient cela autrement. Ils
lui disaient :
" C"est très sexy.
- Qu"est-ce qui est sexy ?
- La façon dont tu fumes.
- Je croyais que c"était moi qui étais sexy.
- Toi... évidemment. "
Et Shlomit éclatait de rire, en montrant ses dents de neige que le tabac n"abîmait pas.
Et elle bougeait coquettement une épaule dénudée sur laquelle on voyait un tatouage - un
papillon avec sa trompe dans une fleur ouverte. Shlomit avait sur le corps pas mal de
choses réellement sexy.
En attendant Orna, Shlomit se mit à compter combien d"hommes qui passaient
devant le café faisaient attention à elle. Elle nota l"heure et en une minute et demie attrapa
onze regards masculins. Encore un coup de fil à Orna. Celle-ci approchait déjà. Shlomit
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changea la règle du jeu. Maintenant elle allait compter seulement les regards ouvertement
" déshabillants ". En deux minutes, trois de ces coups d"oeil.
Voilà qu"enfin son amie était arrivée. Elles s"étreignirent, s"embrassèrent, se
répandirent en compliments l"une sur l"autre. Orna commanda aussitôt un expresso très
serré. Et Shlomit lui raconta les résultats du jeu de la " pêche aux regards ".
Pendant quelques minutes elles parlèrent de tout et de rien. Elles riaient après chaque
mot, trouvaient à n"importe quelle phrase un sens connu d"elles seules, comme de vieilles
amies. A vrai dire, Shlomit, aussitôt après un dernier éclat de rire, s"assombrit.
" Il est arrivé quelque chose ? s"enquit Orna.
- Non... enfin, si.
- Tu es un peu bizarre aujourd"hui, pensive.
- Mais imagine-toi ! Mon Yossi a une aventure. Il a une liaison avec une dame de
mon âge.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? elle est comment ?
- Tu es la première à me le demander. Les autres étaient seulement choqués.
- Pourquoi choqués ? Si elle lui convient et si elle lui plaît.
- Tu ne penses pas que c"est pathologique ?
- Aujourd"hui il y en a beaucoup qui ne considèrent même plus l"homosexualité
comme une pathologie.
- Tout cela, je le comprends, quand ça arrive chez les autres.
Shlomit et Orna restèrent longtemps au café. Du sac à main de Shlomit retentit la
sonnerie du téléphone. Détournant à peine le visage, elle répondit dans un sourire :
" Oui... Oui... Non, aujourd"hui je ne peux pas... Peut-être en début de semaine...
A plus. "
Et elle referma le téléphone avec le même sourire énigmatique et presque gênée.
" Tu m"intrigues. Qui est-ce ?
- Peut-être que je te raconterai après, mais pas aujourd"hui.
- D"accord, d"accord... Cela fait longtemps que je ne t"ai pas vue aussi émue.
- Apparemment, je suis à nouveau amoureuse... Mais il faut que je réfléchisse
un peu. "
Yossi se rappelait sa dernière rencontre avec Sarah. Cette femme à la peau brune
vivait dans la même cour qu"eux. Tout le monde savait qu"elle et sa vieille maman
venaient des Indes. Tout le monde dans la cour l"appelait Sarahlé. Yossi, à ce moment-là,
avait terminé l"école et il lui restait trois mois avant l"armée. A dix-huit ans à peine, il
n"avait pas de copine. Avec les filles, il y avait de l"amitié, mais pas d"amour. Ce soir de
juillet, il faisait chaud et moite, on aurait dit une serre avec des plantes tropicales. Yossi et
ses copains sortaient d"un bar après minuit.
Ils restèrent un moment devant l"entrée ; ils parlaient fort après quelques tequila
Sprite. Quelqu"un passa la tête à la fenêtre et leur cria :
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" Vous nous empêchez pas de dormir... ou j"appelle la police ! "
Les copains de étaient du genre calmes et respectueux de la loi. Et puis la tequila
Sprite était devenue à la mode, et le respect de la loi, lui, était passé de mode.
Les jeunes se dispersèrent et le calme revint. Yossi traversait la cour quand soudain
on l"interpella doucement mais avec insistance. Il tressaillit, surpris, et se retourna. A
l"entrée de la maison se tenait Sarah. Il alla vers elle. A la lumière des veilleuses elle lui
paraissait comme la reine des mille et une nuits. Elle le toisait de ses yeux noirs comme de
velours. Un regard pareil, il en fut tout retourné.
" Shalom, Sarahlé. Tu ne dors pas ? demanda-t-il, et il rougit comme s"il avait lâché
une bêtise. Mais elle n"en montra rien et répondit calmement :
- Non, comme toi. J"avais commencé à m"endormir, et puis quelqu"un vous a crié
dessus. "
- Euh, c"est nous avec des copains, on parlait fort en sortant du bistrot.
- Je vois que tu as bu.
- Oui, mais juste un peu. Trois tequilas... Quand même, la tête, un peu...
Il ne finit pas sa phrase.
" Je sais, ça tourne. Je vais te faire boire tout de suite du thé indien avec des herbes,
et ça arrêtera de tourner. Viens chez moi... Maman dort déjà. "
Et Sarah le regarda à nouveau avec le même regard bouleversant.
Elle se déplaçait sans bruit dans la pièce, pieds nus. Yossi aperçut ses pieds. Ses
ongles étaient recouverts d"une laque vive. Les filles du kibboutz que connaissait Yossi
n"en mettaient pas. Sarah posa sur une petite table un bâtonnet, l"alluma avec une
allumette, et une odeur de santal se répandit. Cette odeur, Yossi la connaissait.
" Ça te plaît ? demanda Sarah. C"est un parfum d"amour. "
Yossi se troubla. Sarah apporta la théière, versa du thé dans une petite tasse avec un
dessin d"éléphant.
" Bois maintenant. "
Elle posa la main sur son genou. Il essaya de saisir sa main à elle, mais Sarah ne le
laissa pas faire :
" Moi, je peux, mais pas toi. "
Elle souriait et le regardait boire son thé. Yossi buvait, il lui semblait que sa mère lui
donnait à boire. Bizarrement au début cela le saoulait davantage, et Sarah se confondait
avec sa mère. Il fut même tenté de l"appeler " Ima1 " Il regarda les ongles de ses pieds et se
souvint que sa mère aussi les peignait, mais d"une autre couleur. Sarah lui donna une autre
tasse. Après quoi il sentit que sa tête s"éclaircissait.
" Bon, d"accord... Il est déjà tard. Une heure et demie... Va te reposer. "
Yossi se leva avec la sensation d"être passé à côté de quelque chose. Sarah lisait dans
ses pensées.
" On est appelés à se revoir... Allez... Bonne nuit. "
1 Maman en hébreu.
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Shlomit ne raconta pas à son amie le début de sa nouvelle aventure. Cela lui semblait
gênant de parler de son fils et, aussitôt après, d"elle-même. Après son divorce d"avec le
père de Yossi, Shlomit était restée seule près de six mois, mais le temps avait fait son
oeuvre... et elle avait commencé à faire des rencontres. Les échecs se succédaient.
Habituellement, le premier rendez-vous était aussi le dernier, elle cessait de répondre au
téléphone. Mais deux hommes sur quelques dizaines avaient continué de l"appeler de
temps en temps. Shlomit avait revu Marcus plusieurs fois et la question se posait : et
ensuite ? Ensuite, ils devaient essayer le sexe. Shlomit connaissait bien les règles du jeu.
Et tout laissait penser que le moment était venu. Shlomit sentait que Marcus
l"attirait. Elle le trouvait intéressant, elle était sensible à son apparence, à sa force, à
l"énergie qui émanait de lui. Ce soir-là, ils allèrent au cinéma, et ensuite elle décida de
l"inviter chez elle. " On ne vit qu"une fois. " Elle se répétait cette phrase rebattue en se
mettant du fond de teint sur les joues. Tantôt elle se demandait s"il fallait inviter Marcus,
tantôt la certitude s"imposait : " Advienne que pourra ".
La vie de Marcus était semblable à celle de nombreux immigrés d"Amérique latine.
Il racontait à Shlomit comme un conte l"histoire de leur voisin de Buenos-Aires. Un
employé discret et poli. Ami du grand" père de Marcus, ce commis apportait d"habitude
aux enfants des friandises le soir. Il s"appelait Ricardo, Ricardo Clement. Les enfants
aimaient bien le señor Ricardo. Un soir, il ne vint pas. Ni le lendemain, ni le soir suivant.
Marcus voulait demander à son grand-père, mais celui-ci avait du travail.
Puis son père tomba malade de la scarlatine. Il était couché, couvert de boutons
rouges, avec plus de quarante de fièvre. Pendant sa convalescence, alors qu"il était couché,
couvert de boutons rouges et avec plus de quarante de fièvre, sa soeur fit irruption dans sa
chambre en criant :
" Regardez, regardez, à la télévision on montre notre voisin, M. Ricardo ! "
Grand-père se trouvait à la maison. Il alluma la télévision et entendit sur la première
chaîne argentine : " Adolf Eichmann, le célèbre criminel de guerre nazi, qui vivait à
Buenos-Aires sous le nom de Ricardo Clement, a été traduit en justice en Israël à la prison
de Ramallah puis pendu, brûlé, et ses cendres dispersées en méditerranée hors des eaux
territoriales israéliennes.
Et j"ai appris cela en cours d"histoire à l"école ", dit Marcus.
Il brillait par ses paradoxes, attirant Shlomit de plus en plus. Ses plaisanteries
n"étaient pas rebattues. Il sentait les cordes de l"âme féminine et en jouait comme d"un
violon. Quand sa main remonta trop haut le long de sa jambe, Shlomit l"arrêta et dit :
" Stop ! Zone interdite ! "
A quoi Marcus répondit en souriant :
" Oh, ces zones, ces zones... défendues... érogènes. "
Bien qu"elle fût beaucoup plus âgée et expérimentée, elle se troubla, bredouilla
quelque chose à propos d"érogènes. Lui, en guise de réponse se leva, se pencha sur elle et
l"embrassa sur l"oreille à la boucle d"argent. Shlomit ne le repoussa pas, mais murmura
seulement :
" La lumière... Au moins la première fois. "
Pendant qu"il allait jusqu"à l"interrupteur, il eut le temps de penser :
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" C"est qu"elle n"a pas l"intention de plaisanter. Tout, tout de suite et pour de bon. Et
moi qui étais encore d"humeur à m"amuser. "
Quand il revint dans l"obscurité vers le fauteuil, où Shlomit était assise, il entendit
soudain son rire argentin venant de la pièce voisine.
" Mais je suis déjà là, mon cher... "
Marcus s"approcha du lit. A travers les stores peu épais filtrait dans la chambre la
lumière des réverbères". Shlomit ne portait que ses boucles d"oreilles en argent. C"est ainsi
que commença leur histoire, " l"histoire argentée ", comme il l"appelait.
Yossi ne dormait pas depuis plus d"une semaine. Quand il se couchait, des vagues
d"agitation déferlaient sur lui. Il se levait d"un bond, allait à la cuisine boire d"un coup
deux ou trois verres d"eau glacée du frigo et retournait se coucher. Il se tourna longtemps
d"un côté sur l"autre. Il se mit sur le dos. Il lui semblait que le silence nocturne commençait
à l"assoupir. Soudain il pensa à maman : qu'est-ce qu"elle a ? Comment elle va ? "
La veille elle était rentrée après une heure du matin. L"avant-veille, semble-t-il, elle
n"avait pas dormi à la maison. Il l"avait compris le matin. La casserole d"argent avec les
poivrons farcis était restée sur la plaque de cuisson. La mère de Yossi, en cuisine était d"un
méticuleux germanique. Et voilà que les poivrons n"étaient pas dans le frigo. Yossi se leva
et alla dans la cuisine. Il avait raison : les poivrons étaient sur la plaque depuis la veille. Il
en sortit un, un énorme poivron jaune, et aussitôt l"odeur se répandit alentour. Yossi mit les
poivrons dans le frigo. Il jeta un oeil sur la pendule : deux heures du matin. Il voulut
composer le numéro de maman, mais il se ravisa :
" Elle a le droit de mener sa vie, et depuis longtemps. " Cette idée le frappa par sa
nouveauté. Effectivement maman ne devait pas lui appartenir, rien qu"a lui. Et aussitôt il
pensa à Sarah. Mais lui non plus n"appartenait plus à maman, maman Shlomit. Une partie
de lui appartenait à Sarah... Yossi termina le poivron ; le meilleur, c"était la sauce.
Il regarda l"heure à nouveau. Trois heures moins le quart. Il alla se coucher.
Rapidement, il sombra dans le sommeil. Comme si des tableaux flottaient autour de lui...
la fumée du bois de santal... l"ongle brillant de laque d"un gros orteil... la tasse et la
théière de porcelaine ventrue avec l"éléphant. Il y avait longtemps que maman ne
l"embrassait plus le soir. Et Sarah ? Pourvu qu"elle l"embrasse au moins une fois... Oui,
oui. Sarah... Sarahlé.
A quelles ruses n"eut-il pas recours pour la rencontrer ! Curieusement, de toute la
semaine il n"aboutit à rien. Il lui semblait que Sarah faisait exprès de se cacher. Il s"en
voulut de l"occasion manquée, envoyé par le destin. Il était sûr que n"importe lequel de ses
copains serait resté avec elle jusqu"au matin. Mais lui n"était qu"une chiffe molle et un
empoté.
La fête de Rosh-ha-Shana2 approchait. Cette année ce serait en octobre,
invariablement au mois de Tishré. De la mer arrivaient les premiers nuages. D"habitude la
nuit, les femmes se retiraient dans la maison. Et voilà que l"une de ces nuits qui
précédaient la fête, Yossi aperçut Sarahlé à sa fenêtre grande ouverte. Elle était en jeans et
en T-shirt blanc tout simple. Elle se penchait sur un seau d"eau. Il la regardait comme
hypnotisé, comme s"il la voyait pour la première fois. Il se surprit à crier :
2 Nouvel an juif.
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" Sarahlé, ma douce, je m"ennuyais de toi ! "
Ses doigts glissaient sur sa peau lisse et hâlée.
" Mon dieu, c"est Gan Eden3, murmura Sarah.
- C"est toi, Gan Eden " répondit-il.
Sur le mur juste en face du lit il y avait un tableau carré. La première fois, Yossi ne
l"avait même pas remarqué. Mais à présent il était impossible de ne pas le voir. Au début il
avait décidé que c"était le Carré de Malévitch. Il associait même ce carré à Sarah :
" Une femme qui a un Malévitch au-dessus de son lit n"est pas une femme
ordinaire. "
Mais ses yeux s"habituèrent à la veilleuse indienne et il réalisa. Ce n"était pas un
Malévitch.
C"était un tableau contemporain. Sinon du XXIème, en tout cas de la fin du XXème
siècle. Il était peint en touches grasses, épaisses. L"artiste n"avait utilisé qu"une seule
couleur... le vermillon. Tout le tableau était couvert de vermillon. Sur les bords les touches
étaient molles, flasques... Et puis elles commençaient à prendre force... comme les vagues
de la mer... le flux... de plus en plus denses, plus lourdes. Comme un homme et une
femme qui en montagne montent de plus en plus haut... et plus ils avançaient vers le
sommet... non, vers le centre du tableau... les touches s"étalaient l"une sur l"autre...
donnant une sensation de centre ... d"intériorité. Comme si l"espace du tableau était aspiré
à l"intérieur, avec un sorte de glouglou plaintif.
C"était comme une obsession. Yossi perdit un instant la sensation du temps. Sarah,
craignant de détruire l"impression, se taisait. Enfin, tout doucement, elle demanda :
" Il te plaît ? "
Yossi l"embrassa sur les lèvres.
" Toi, tu es mieux ", répondit-il.
- Quel rapport ? "
Il lui sembla que Sarah était vexée.
" Ce tableau, Sarah, est un des meilleurs que j"aie vus ces derniers temps. Crois-moi,
je m"y connais. Qui est-ce qui l"a peint ?
- Je me rappelle que l"auteur est un jeune peintre ukrainien. Et le tableau s"intitule
Zone érogène. Il m"a plu, je l"ai acheté au shuk pishpeshim4. Je viens de décider de t"en
faire cadeau. "
Sarah s"enroula dans le drap, comme dans une toge romaine, se leva de toute sa
hauteur sur le lit, tendit les mains vers le tableau et l"enleva de son clou. Il sembla à Yossi
que le mouvement de son corps et le tourbillon vermillon du tableau se fondaient en un
seul élan. Sarah prit un pinceau long et mince, un petit flacon de peinture et écrivit au dos
du tableau : A mon Yossilé chéri, avec l"amour de Sarahlé. Et elle ajouta deux petits coeurs.
La nuit s"annonçait chaude et humide, du désert soufflait le chaud khamsin5 qui se
3 Le Paradis.
4 Marché aux puces
5 Vent de sable brûlant soufflant du désert d'Égypte vers Israël. [NdTr.]
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mêlait à l"humidité de la Méditerranée. Dans cette chaleur nocturne, Yossi rentrait chez lui
avec la Zone Erogène enroulée dans un papier. Maman n"était pas là ; mais cette fois,
Yossi était content d"être seul.
Le long du chemin, il imaginait la façon dont il découvrirait le tableau. Enfin il
l"ouvrit dans sa chambre, et se mit à mesurer où il allait l"accrocher. Il resta finalement
deux options : ou bien en face de la table, ou bien en face du lit. A la table devant
l"ordinateur, il y passait des heures ; au lit c"était juste pour avant de dormir et quelques
minutes le matin. Après quelques hésitations, il décida d"accrocher la Zone érogène audessus
de son lit. Il planta un clou. Le fascinant tourbillon rouge se trouva sur un mur
blanc. Yossi le regarda longtemps. Le tourbillon l"hypnotisait.
Après quelques nuits passées avec Marcus, Shlomit entra un jour dans la chambre de
son fils. Cela faisait longtemps qu"elle n"y était pas venue. Elle s"assit sur le bord du lit
défait. Son regard tomba sur le mur.
Et instantanément, le nouveau tableau la cloua sur place. Elle le prit tout autrement
que Yossi. Il lui sembla qu"au centre du tableau il y avait une fleur, une fleur rouge vif,
profonde, veloutée. Au fond, la fleur était presque noire. Cela ressemblait à un ventre, à de
la chair. Shlomit ressentit sa proximité avec le tableau, sa ressemblance avec lui. Ces
derniers temps elle était comme une fleur pleine de nectar. Shlomit tendit le nez, comme si
un parfum suave de miel se répandait dans l"air. Elle traversa pieds nus la chambre
obscure. Elle regarda le tableau sous un autre angle. " Oui, comme tout avait été
chamboulé dans leur maison bourgeoise. Son aventure avec Marcus était à son apogée.
Shlomit alluma une cigarette. Et son Yossi aussi. Il fallait lui parler. Encore que, à son
ââge, on pouvait se permettre. Mais au moins être dans la confidence, qui était cette fille ?
Avant, il lui disait tout.
Shlomit finit sa cigarette, s"étira comme une chatte avec un plaisir physique, jeta un
dernier regard sur le carré rouge au mur et alla se coucher.
Ce fut la sonnerie du téléphone qui la tira du sommeil. Il était sept heures du matin.
Shlomit composa le numéro de son fils. Ça ne répondait pas. Elle laissa un message :
" Petit, bonjour... Je cours au travail. Rappelle-moi dans la journée. "
Ils ne se revirent le soir à dîner qu"une semaine plus tard. Avant de parler à son fils,
Shlomit s"était tracé un plan ; mais d"emblée, quand ils furent assis dans le salon pour
grignoter des noix autour de la petite table, elle n"y tint plus et passa à l"attaque :
" Alors, qui est-ce ? demanda-t-elle avec défi.
- De qui tu parles, mam" ?
- Fais pas semblant. Ça fait plus d"une semaine que tu découches. "
Yossi perdit contenance. Il rougit.
" Mam", rassure-toi... c"est une femme formidable... Tu la connais.
Il alla vers elle et l"enlaça.
" Qui est-ce ?
- Sarah, notre voisine.
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- Quoooiii ! Elle a l"âge d"être ta mère ! Tu ne pouvais pas trouver une fille de ton
âge !!! "
Shlomit repoussa son fils.
" Mais, Mam... Tu as toujours eu l"esprit large... Et tu m"as appris ça.
- Yossi, il y a des limites à tout. Avoir une aventure avec une femme qui a vingt ans
de plus que toi ! "
- Mam, calme-toi. Elle est gentille... Le tableau qu"elle m"a offert... Viens, je vais
te montrer... Cela s"appelle zone érogène ".
Et Yossi traîna Shlomit dans sa chambre. Il la fit asseoir au bord du lit. Ensemble ils
regardèrent le tableau vermillon. Shlomit retrouva ses esprits. Yossi était plongé dans le
tableau.
" Et elle t"as déjà appris ce que c"est que la zone érogène ?
- Bien sûr, en théorie et en pratique. "
Yossi avait décidé de faire enrager Shlomit jusqu"au bout, et aujourd"hui, c"était
facile.
L"amour brûlant de Marcus et de Shlomit commença à tiédir très vite. Le scénario se
déroula de façon banale. Marcus cessa de répondre à Shlomit. Tous les efforts qu"elle fit
pour attirer son attention ne lui apportèrent que des déceptions. Elle rentrait chez elle
irritée. Elle passait ses soirées seule. Elle en voulait à Marcus, elle en voulait à son fils, elle
en voulait à l"amie de son fils, Sarah. Un beau soir elle but un demi verre de whisky.
Comme elle n"avait pas l"habitude de l"alcool, elle fut ivre tout de suite. Le sol tanguait
sous elle comme le pont d"un navire par gros temps. Shlomit ne se souvenait pas comment
elle s"était retrouvée dans la chambre de son fils. Elle alluma la lumière, et se trouva seule
à seule avec la " zone érogène ".
C"est toi qui es responsable de tout, ma belle ! " cria-t-elle au tableau. Tu ne dis rien,
vieille perverse ! "
Shlomit hors d"elle bondit hors de la pièce, revint avec une chaussure à talon haut,
frappa le tableau au coeur, encore et encore...
Le monde ne s"effondra pas. Rien ne changea. Seulement au centre du carré rouge
étaient apparus quelques trous très laids. Shlomit fut dessaoulée instantanément. De
confusion, elle s"enfuit en oubliant la chaussure dans la chambre de son fils. Elle tomba sur
son lit et sans se déshabiller sombra dans un profond sommeil.
Yossi revint comme d"habitude vers le matin. Sur la pointe des pieds pour ne pas
réveiller sa mère, il traversa le salon et le corridor. En reconnaissant son parfum, il sut
qu"elle était rentrée. Rassuré, il alla dans sa chambre. Il trébucha contre quelque chose et
faillit tomber. Il alluma la lumière. C"était une chaussure de maman.
" Qu'est-ce que ça fait là ? pensa-t-il.
Il la regarda de près et sourit : " Très érotique, ce machin. " Il posa la chaussure le
long du mur.
" Maman, petite maman, comme je t"aime. "
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Il prit une douche et se glissa dans le lit. Son corps " ronronnait " agréablement après
son rendez-vous avec Sarah. Il écouta cette sensation puis porta son regard vers le mur.
" Qu'est-ce que... On dirait que quelqu"un a mordu, a arraché un bout de la zone
érogène. "
Yossi monta sur une chaise et vit les trous au centre du tableau. Il fut comme
pétrifié. Puis la compréhension se fit. La chaussure érotique de maman et la " zone
érogène ". La zone érogène de Sarah. Sa Sarahlé.
" Il faut faire quelque chose... ce n"est pas possible... " Il devait protéger sa petite
hindoue.
Yossi prit le tableau, l"enveloppa dans une serviette. Il mit son jeans et son T-shirt.
Et avec le tableau sous le bras, il sortit dans la rue. Les oiseaux du matin s"égosillaient. Ils
sentaient venir un nouveau jour.
Ñâÿçàòüñÿ ñ ïðîãðàììèñòîì ñàéòà.